"Je m'oppose à "Bolkestein". François Biltgen au sujet du projet de loi amendant la transposition de la directive détachement

Le Quotidien: Pouvez-vous commenter le derby local de football?

François Biltgen: Je n'ai malheureusement pas eu l'occasion d'y assister, puisque j'étais encore sur la route du retour des vacances. J'ai passé une semaine à Madère et puis quelques jours en Bourgogne pour assister aux rencontres musicales de Vézelay, organisées par Pierre Cao. J'apprécie la Bourgogne, puisqu'il y a la gastronomie, la culture et, à cette occasion, la musique.

Mais il y aura le match retour. Et j'espère qu'il y aura, dans les prochaines saisons, encore beaucoup de derbys locaux entre les deux clubs eschois.

Le Quotidien: Pendant votre absence, les fonctionnaires n'ont pas chômé. On entend que le projet de loi amendant la transposition de la directive détachement soit prêt.

François Biltgen: J'ai l'intention de transmettre ce projet la semaine prochaine (NDLR : l'entretien a eu lieu mercredi dernier) au Conseil de gouvernement. Le projet sera présenté le 22 septembre prochain aux partenaires sociaux, lors de la réunion du Comité permanent du travail et de l'emploi. Ensuite je prendrai contact avec la Commission à Bruxelles.

Le Quotidien: Et quelles seront ces adaptations?

François Biltgen: Nous ne voulons pas mettre en cause l'esprit de la loi. Nous tiendrons évidemment compte de la jurisprudence, mais cela ne nécessitera que des adaptations minimales, sans changer l'esprit de la loi. Nous ne devons pas endosser une nouvelle fois le rôle du bouc émissaire, parmi d'autres; le litige avec la Commission doit arriver à sa fin. Il s'agira d'une double approche: au Luxembourg, en premier lieu, l'ordre public social est une question d'importance primordiale, non seulement en matière de détachement mais, surtout, dans le cadre de notre conception fondamentale du droit du travail et de l'emploi et de la politique sociale. En second lieu, force est de constater que s'il n'y a pas de possibilités d'effectuer des contrôles sur place, les meilleures lois du monde ne servent à rien et les problèmes qui se posent alors surgiraient dans le domaine de la concurrence déloyale.

Le Quotidien: ..."sur place", vous voulez dire à Luxembourg?

François Biltgen: Oui. Nous pensons que l'ITM doit avoir un accès aisé aux informations. C'est précisément le problème qui a donné lieu à la condamnation. Nous avons étudié soigneusement cet arrêt de la Cour, comme également les autres arrêts, et nous en déduisons que les deux principes qui nous importent devraient pouvoir être maintenus, c'est-à-dire que l'ITM soit informée de la présence d'un employeur étranger sur le territoire national et que cette administration puisse avoir accès sur place aux documents requis.

Nous avons pris acte du reproche que notre façon de transposer la directive est trop sévère, qu'il s'agirait d'une mesure discriminatoire, disproportionnée. Nous estimons pouvoir proposer une solution dès à présent, avec laquelle les deux mesures restent toujours valables.

Il nous importe également de prendre position à propos de la question fortement discutée qui est celle de l'indexation. Même l'avocate générale n'avait pas formulé de griefs à cet égard à notre encontre. Il ne s'agissait pas d'indexer les salaires polonais, par exemple, mais l'indexation est un élément essentiel de l'ordre public social luxembourgeois. L'article y relatif dans notre code du travail ne concerne pas expressément les salariés détachés, mais, s'agissant de l'un des articles essentiels de notre code du travail, il s'applique à tous les salariés luxembourgeois, tout en considérant cette disposition comme faisant partie de notre ordre public social.

La jurisprudence européenne ne doit pas servir à démanteler cet ordre public social national.

Je me réjouis de participer le 9 octobre prochain à Bruxelles en tant qu'orateur à un forum organisé par la Commission européenne sur le détachement. L'un des coorateurs sera Xavier Bertrand. Il s'agit pour la première fois d'un feed-back de la part de la Commission européenne qui accepte d'entendre nos appréciations. Je ne sais pas où la discussion aboutira. En tout cas, le débat a commencé.

Le Quotidien: S'agit-il d'une façon de préparer une entente avec la Commission?

François Biltgen: Non. Cela ne concerne pas notre projet de loi. Ces discussions-là ne peuvent se dérouler que sur un niveau bilatéral.

Mais il m'importe d'avancer le plus vite possible, sur le plan politique. Il n'est pas dans nos intentions de gagner du temps.

Le Quotidien: On vous reproche d'avoir mal transposé la directive détachement et d'avoir sous-estimé les arguments de la Commission dans la procédure judiciaire.

François Biltgen: Je savais dès le départ que nous risquions de dépasser les objectifs; nous pensions quand même pouvoir gagner, et j'estime encore maintenant que nous avons réussi à obtenir mieux que 100 % de ce que la directive préconise.

Je continue à dire non à la directive Bolkestein, tout en sachant que ce sont justement ces concepts-là qu'a voulu imposer la jurisprudence européenne.

Je ne puis accepter les critiques dont vous faites état, selon lesquelles on me reproche de n'avoir pas empêché la condamnation par la CJCE. En tant qu'homme politique, je ne peux pas prétendre seulement vouloir rechercher des accords préalables, avant même une jurisprudence qui risquerait d'être inconfortable. Si tel était le cas, un responsable politique rétrograderait en permanence.

Il faut prendre des risques. Sinon nous n'aurions pas dû riposter contre "Bolkestein". Et surtout je ne voudrai pas dire à la Commission: Nous avons été contre "Bolkestein", et nous pouvons trouver un accord maintenant.

Un homme politique doit lutter. Je pense que nous réalisons une Europe sociale, mais ce n'est pas au Luxembourg - le pays qui s'y est engagé le plus - de débuter maintenant dans la voie des faux compromis.

Le Quotidien: Le forum du 9 octobre, constitue-t-il davantage qu'un débat scientifique? Pouvez-vous préciser le suivi des différentes procédures tant européennes que nationales que vous engagez pour amender cette loi?

François Biltgen: Le forum sera un débat scientifique et politique, dans la mesure où il réunira les représentants politiques et les partenaires sociaux. Au Luxembourg, les premières consultations avec les partenaires sociaux ont eu lieu. Après l'aval par le Conseil de gouvernement, la semaine prochaine, un second tour de table sera entrepris avec le Comité permanent de l'emploi.

Nous entendons rédiger nous-mêmes nos textes législatifs! J'entamerai ensuite des informations auprès de la Commission, où notre position consiste dans la sauvegarde de l'esprit de la loi de 2002. J'entends ne pas subir une nouvelle fois une critique judiciaire de la Commission, voilà pourquoi différentes propositions émises par les syndicats, par exemple, n'ont pas été adoptées dans le futur projet.

Le Quotidien: Est-ce que les représentants des deux partenaires sociaux sont sur une même ligne?

François Biltgen: Non!

Le Quotidien: Est-il envisageable que les employeurs luxembourgeois détacheront à l'avenir du personnel à Luxembourg par le biais de sociétés étrangères?

François Biltgen: Je ne vois pas ce danger-là. Je constate, par contre, que nombre d'employeurs étrangers veulent engager leur personnel sous statut luxembourgeois; cette situation sera encore favorisée avec la mise en vigueur du statut unique.

La procédure du détachement est utilisée par les entreprises luxembourgeoises uniquement pour assurer des tâches ponctuelles.

Dans le projet de loi j'insiste une nouvelle fois sur l'objectif du détachement. Non seulement, il est limité dans le temps (c'est une suggestion reprise des propositions syndicales), mais les tâches assumées par les travailleurs en détachement ne doivent pas correspondre à des fonctions permanentes dans l'entreprise, sinon ce détachement équivaudrait au prêt permanent de main-d'œuvre.

Le Quotidien: Le statut unique se met en place. Où en êtes-vous?

François Biltgen: En ce qui concerne le ministère du Travail, tous les textes législatifs sont en vigueur. Prochainement, les locaux du ministère seront encombrés par les préparatifs et les matériaux liés aux élections sociales. Une campagne d'information débutera, en particulier pour informer les entreprises.

Le Quotidien: Quel est l'avenir de l'indexation automatique des salaires? Préféreriez-vous que j'adresse cette question plutôt au ministre du Travail ou au président du CSV?

François Biltgen: Je dois être en mesure de donner une réponse cohérente à cette question dans les deux fonctions. J'ai mentionné que l'index est un élément primordial de notre ordre public social national: la loi en vigueur est déterminante. Il convient de rappeler quand même que cette loi prévoit, en cas de problèmes éventuels en matière de compétitivité de l'économie et en cas d'un niveau élevé d'inflation, que des pourparlers aient lieu avec les partenaires sociaux en vue de légiférer selon les besoins.

Je considère que le principe de l'indexation généralisée est toujours approprié. Si l'inflation était trop élevée, un nombre excessif de tranches indiciaires risquerait de créer une spirale inflationniste. La poussée inflationniste doit être maîtrisée. Momentanément, les prix pétroliers s'orientent à la baisse. Je salue vivement toutes les modérations de la progression des prix faites "à domicile" par les acteurs nationaux.

En tant que ministre du Travail, je dois rappeler que l'indexation automatique des salaires n'est pas un moyen de combattre la pauvreté. Bien au contraire: le taux de risque de pauvreté augmente. Tout en sachant qu'en même temps, le principe de l'indexation générale des salaires - contrairement aux tranches forfaitaires - permet le maintien du pouvoir d'achat pour l'ensemble des revenus salariaux et constitue une façon de conduire une politique salariale globale au Grand-Duché. Mais il faut se rendre compte des limites de ce système.

Comme le Statec le confirme, le pouvoir d'achat n'a pas diminué au Luxembourg; mais l'augmentation a été inégale!

Le Luxembourg n'est pas le seul pays à disposer d'une compensation salariale automatique. Notre système a ses bons côtés, et les automatismes figurent parmi ses mauvais côtés.

Le Quotidien: Que se passerait-il si, en 2010, trois tranches indiciaires viennent à échéance?

François Biltgen: Il est vraiment trop tôt d'envisager concrètement ce qui pourrait advenir en 2010.

Je ne puis déjà affirmer qu'il y aura trois tranches indiciaires en 2010 et que les modulations devraient être prorogées. Si en 2010 l'inflation était inférieure de 2% à l'inflation actuelle, selon l'exemple donné par le Premier ministre, la question se posera autrement!

En tant que président du CSV j'ai déjà écrit, que lorsque les modulations viennent à leur terme, le 31 décembre 2009, le droit commun sera rétabli, avec les tranches indiciaires qui y sont prévues, tout en gardant la faculté de pouvoir s'occuper, à ce moment, des problèmes qui naîtraient.

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