François Biltgen: Marché de l'emploi 2002: "Le retour à la normalité"

François Biltgen, ministre du Travail et de l'Emploi, se refuse à tout pronostic quant à la reprise de l'économie luxembourgeoise en 2003. En 2002, le taux de chômage a dépassé les 3% mais reste en deçà du seuil incompressible, cela n'arrête pas pour autant les mesures spécifiques d'activation de l'emploi au Grand-Duché. Le ministre rappelle aux entreprises les règles et l'esprit de la pratique sociale luxembourgeoise afin de diminuer l'inadéquation entre l'offre et la demande d'emploi et de protéger les salariés. Les réformes et les projets de loi vont bon train.

A chaque nouvelle année, la coutume veut que l'on fasse le bilan de l'année écoulée. Qu'est-ce qui a caractérisé le marché de l'emploi luxembourgeois en 2002?

Le retour à la normalité. Nous avons refait connaissance avec des faits un peu oubliés: l'augmentation des demandeurs d'emploi, le retour des licenciements collectifs et une restructuration généralisée due à une conjoncture économique nationale et internationale plus morose.

Le retour à la normalité sousentend qu'il ne faut pas paniquer: c'est simplement un retour à l'évidence. Les chiffres du chômage sont en deçà d'un chômage incompressible. Je ne me suis cependant jamais contenté de la notion de chômage incompressible car pour moi cette notion ne compte pas: seuls comptent les près de 7.000 personnes à la recherche d'un emploi.

Sans que l'on puisse d'ores et déjà parler de crise, le retour à la normalité est substantiel mais pas exceptionnel: c'est une situation normale. Ce qui est malheureusement anormal, c'est la situation que nous avons connue ces dernières années.

Aujourd'hui, nous devons vivre avec et faire en sorte que le modèle luxembourgeois s'applique. C'est là que le bât pourrait blesser car ce que l'on a vu, pendant l'année 2002, c'est une sorte d'anticipation de la situation économique. Je lance un appel, aux responsables économiques, aux chefs d'entreprise: il était naguère certainement mauvais d'anticiper un besoin incessant de personnel – comme il est tout aussi mauvais de diminuer les effectifs par anticipation. Sans me prononcer sur une date de reprise de l'économie, je ne comprends pas comment on peut se défaire de personnel qu'il faudra réembaucher par la suite.

Si des restructurations sont inévitables, il y a d'autres moyens que de procéder à des licenciements et de tout régler par des indemnités.

Pensez-vous aux alternatives mises en œuvre par la Dexia BIL?

Oui, tout à fait. Cet exemple nous a prouvé qu'il était possible d'utiliser d'autres moyens que des licenciements collectifs (temps partiel, année sabbatique, congé parental, etc.), tout en faisant des épargnes en indemnités. Même si à l'avenir je reste opposé à une réduction légale et généralisée du temps de travail, si dans une entreprise une réduction ciblée et conventionnelle permet de sauver des emplois, je suis pour. D'ailleurs la loi prévoit même des indemnités dans ce cas.

Il y a lieu de rechercher d'autres voies, comme le reclassement de ces personnes, et d'ouvrir d'autres perspectives d'emploi aux salariés.

Si le chômage augmente, il ne faut pas penser pour autant que les mesures d'activation du marché de l'emploi, qui sont inscrites dans le Plan d'action national de 1999, soient vouées à l'échec ou qu'il faille les abroger. Elles ont porté leurs fruits et doivent être prorogées, sans quoi, l'inadéquation entre l'offre et la demande ne fera pas reculer le chômage pendant les périodes fastes et l'augmentera plus rapidement pendant les périodes sombres.

Quels sont les chiffres clé du chômage en 2002?

Le taux de chômage a augmenté à 3,3% en novembre et poursuivra sa hausse en décembre car traditionnellement c'est un mois où il augmente, tout comme en janvier.

Le marché de l'emploi est saisonnier: de février à juillet, le chômage diminue et les autres mois, il est en hausse. De novembre 2001 à novembre 2002, on peut considérer que le chômage a augmenté de 23 %. Pendant cette période, il a subi les tendances saisonnières sauf pour le mois d'octobre où l'on a noté une augmentation des demandes d'emploi qui n'ont pas trouvé de réponse.

Le problème réside dans le fait que si les demandes d'emploi ont augmenté de 23 %, les offres ont, quant à elles, baissé de 40 %. En octobre 2001, il y avait 1.245 offres, en. 2002, 1.021 seulement.

Les personnes qui ne sont inscrites qu'à l'Administration de l'emploi (ADEM) ont-elles plus de difficultés à trouver un emploi?

Oui. D'ailleurs, je lance un autre appel aux employeurs pour qu'ils cessent de croire qu'à I'ADEM il n'y a que des demandeurs d'emploi sans qualification. Plus de 17 % d'entre eux ont une qualification supérieure au bac. La proportion des non-qualifiés est passée à l'inverse de 50 à 45 %.

Je rappelle, en outre, que chaque employeur doit informer I'ADEM de toute embauche trois jours avant la publication du poste. Nous serons très stricts sur cette mesure car nous avons constaté, selon les chiffres de la sécurité sociale, que le nombre des

emplois augmente alors que les offres diminuent.

La bonne nouvelle c'est que le Luxembourg ne connaît pas encore le problème du chômage de longue durée. C'est une bonne chose et nous devons poursuivre la politique d'activation de l'emploi pour garder le taux de chômage le plus bas de l'Union européenne.

Mais il y a un phénomène qui m'interpelle. Certes, le nombre des demandeurs d'emploi plus âgés augmente plus rapidement que la moyenne. Mais si la proportion des demandeurs inscrits depuis plus d'un an à I'ADEM est de 21,7 %, elle passe à 29 % pour ceux âgés de 41 à 50 ans et à 40,6 % pour ceux de 51 à 60 ans. En contrepartie, le nombre des demandeurs d'emploi plus âgés augmente moins rapidement que la moyenne. De nombreuses mesures sont mises en place par le gouvernement pour inciter à l'embauche de ces chômeurs, dont notamment l'exonération d'une partie des charges sociales pendant sept ans, une bonification d'impôt de 10% et une aide au réemploi pendant quatre ans (remboursement de la différence entre l'ancien salaire et l'indemnité de chômage).

Je demande aux entreprises de modifier leur approche et, dans un esprit de responsabilité sociale, de donner une chance à l'expérience. Je constate que l'on veut toujours se débarrasser des personnes âgées. Ce n'est pas agir de façon intelligente, c'est procéder à court terme.

Concernant les projets pour 2003, quelles sont les mesures particulières qui seront prises pour diminuer le chômage?

Ce qui compte c'est d'appliquer les lois et l'esprit de la pratique sociale au Luxembourg. En ce qui concerne les lois, il faut appliquer la règle d'informer I'ADEM avant la publication des offres d'emploi. L'Administration de l'emploi et l'lnspection du travail et des mines (ITM) sont là pour effectuer des contrôles, vérifier si les règles ont été respectées lors des licenciements collectifs et si certaines entreprises préfèrent faire faillite plutôt que d'endosser le coût des licenciements. Dans ce cas précis, le projet de loi, relatif au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprise, que j'ai déposé en novembre 2001 et qui n'est toujours pas voté, prévoit que si une entreprise reprend des activités y compris, le cas échéant, après une faillite, cela ne sera pas considéré comme le départ d'une nouvelle société mais comme une reprise. Elle devrait garder le même personnel.

Le modèle luxembourgeois n'a jamais su se contenter de mesures régulatrices, il met en œuvre un accompagnement de l'Etat pour permettre aux entreprises de mettre en œuvre des mesures d'emploi acceptables. Ainsi, il existe toute une panoplie de mesures dont celles, entre autres, qu consistent à accompagner les réductions du temps de travail dans le cas de chômage partiel et d'accompagner les plans de formation des salariés afin qu'ils soient réemployables.

Mais il serait faux de demander au gouvernement ou au législateur de sur-réglementer dans le domaine économique au sens large. Se pose d'ailleurs aussi, si on voulait procéder de la sorte, la question de savoir quand commence l'immixtion dans le pouvoir de direction économique du chef d'entreprise. Cela dit, nous réfléchirons évidemment, au sein du ministère du Travail et de l'Emploi, aux possibilités de compléter l'action, notamment préventive, sur les aspects économiques qui pourraient avoir des retombées d'ordre social. Je pense en particulier aux décisions économiques impétueuses qui engendrent des licenciements massifs. Il n'est cependant pas question d'introduire une sorte d'autorisation administrative de licenciements économiques. Par contre, l'encadrement obligatoire des salariés concernés (sorte d'outplacement obligatoire à financer par l'entreprise) par l'entité économique procédant aux licenciements, pourrait être une piste à explorer.

Par ailleurs, je pense que le recours à des démarches volontaristes partenariales, entre autres dans le cadre de la notion de «responsabilité sociale de l'entreprise» largement thématisée au niveau de l'Union européenne mais malheureusement, pour l'instant, mal comprise par les dirigeants économiques au Luxembourg, serait une issue possible.

N'oublions pas non plus que les représentants des salariés, dans les instances de cogestion, ont droit à toutes les informations économiques essentielles. L'usage qu'ils en font, en temps utile de préférence et en coopération avec les experts à leur disposition, est une autre voie préventive qui n'a malheureusement pas toujours fonctionné ces derniers temps. Cela dit, nous travaillons actuellement sur une amélioration législative du fonctionnement de ces instances et de leur transparence.

Quelles sont vos prévisions ou du moins vos espérances en matière d'emploi pour 2003? Quel sera le secteur qui recrutera le plus?

Je défie quiconque de jouer à l'astrologue et de donner des prévisions. Nous devons garder les deux pieds sur terre et rester réalistes et surtout optimistes. L'économie en a besoin. Le marché de l'emploi luxembourgeois recherche des personnes qualifiées dans tous les domaines. Pendant les périodes fastes, ce sont les secteurs des services aux entreprises qui ont recruté le plus et en période de ralentissement économique, ceux qui licencient le plus.

La nouvelle législation dans le secteur des hôteliers - restaurateurs - cafetiers (Horesca) porte sur la réglementation des horaires des salariés. Cette loi aura-t-elle des répercussions sur l'emploi?

Je ne sais pas encore, cela dépend de chaque employeur. Mon objectif était de réglementer ce secteur pour des raisons de santé et de respect du salarié et pour arrêter l'exploitation du personnel. Les heures supplémentaires qui étaient prestées ne donnaient pas droit à des indemnités.

Cette loi ne s'appliquera cette année qu'aux entreprises de plus de 50 salariés. Elle sera ensuite introduite progressivement dans toutes les autres entreprises. Les patrons auront le choix entre réorganiser les horaires d'ouverture, embaucher du personnel supplémentaire ou payer les heures qui dépassent les quarante heures par semaine. Avec cette loi, qui rend la profession moins pénible, nous redonnons une certaine attractivité au secteur qui accuse une pénurie en maind'œuvre: seuls 10 % des salariés sont luxembourgeois.

La loi sur l'invalidité professionnelle a-t-elle déjà des répercussions au Grand-Duché? Quelles sont les mesures concernant les frontaliers?

Il y a déjà des dossiers. Cette loi prévoit un reclassement interne, en cas d'incapacité réduite de travail, ou externe, par I'ADEM. Pendant la période de prise de décision des services de santé, le salarié touche une indemnité d'attente équivalente à celle du chômage. En cas d'amélioration de son état, il peut reprendre son ancien emploi.

Une première: cette loi s'applique aussi aux frontaliers. La perspective de réemploi au Grand-Duché leur est offerte même s'ils résident à l'étranger. En contrepartie, Us devront rester à la disposition des services concernés.

Autre innovation pour le Luxembourg, désormais les conjoint (e)s ou les partenaires ne verront plus leur indemnité de chômage diminuer en fonction du revenu de l'autre conjoint (e) ou partenaire. J'estime que l'indemnité de chômage est un droit identique pour tous et, que l'on soit seul ou non, le même montant sera octroyé.

Et le projet de réforme de l'lnspection du travail et des mines?

Aujourd'hui, l'économie est largement diversifiée avec toujours plus d'entreprises et de nouvelles technologies. Il nous faut mettre en œuvre une Inspection capable d'affronter les défis du XXIe siècle.

Plusieurs mesures peuvent être prises sans passer par un texte de loi. Nous sommes en train de créer un comité interne et un comité d'accompagnement des partenaires sociaux dont le rôle sera plus proactif que réactif. Le Bureau international du travail (BIT), qui a réalisé l'audit sur I'ITM dont les résultats seront présentés le 14 janvier à la Chambre des députés puis aux partenaires sociaux, suggère une inspection qui réagisse avant l'accident et non après. Pour y parvenir, il faudra analyser les méthodes de fonctionnement de l'entreprise, y faire passer le message de prévention des risques. Nous devons doter les inspecteurs du travail de véritables pouvoirs qui sont réservés aujourd'hui au seul directeur.

Une réforme d'envergure qui ne pourra fonctionner que si tous les concernés œuvrent dans le même sens.

Propos recueillis par Lydie Greco

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